
Notre perception du monde est-elle purement objective ? Une nouvelle étude révèle que notre savoir linguistique peut influencer directement ce que nous entendons. En effet, des chercheurs ont démontré que les mots que nous connaissons nous semblent plus forts, même s’ils sont joués au même volume que des mots sans signification. Cette découverte remet en question la passivité de nos sens.
💡 Points clés
- 🗣️ Les mots connus sont perçus comme plus forts que les mots inconnus à volume égal.
- 🧠 Cet effet s’observe tant dans la langue maternelle que dans la seconde langue.
- 📚 La familiarité linguistique et l’expérience façonnent la perception auditive.
- 🎧 Cette découverte explique pourquoi on a tendance à « monter le volume » pour les langues étrangères.
Quand le savoir façonne nos sens
Une étude récente, parue dans le Journal of Cognition, met en lumière un phénomène fascinant. Elle montre que notre connaissance du langage influence notre perception auditive. Les chercheurs ont observé que des mots réels, comparés à des mots inventés, étaient jugés plus sonores. Cela se produit même s’ils sont prononcés au même volume physique. Ce biais perceptif touche aussi bien notre langue maternelle que notre seconde langue, avec quelques nuances.
Cette recherche s’inspire d’une illusion visuelle bien connue. Des lettres ou mots familiers sont perçus comme plus grands que des combinaisons inconnues. Les auteurs de l’étude, dont Boris New, professeur de psychologie cognitive à l’Université Savoie Mont Blanc (LPNC), voulaient savoir si un effet similaire existait pour le son. En d’autres termes, notre cerveau pourrait-il traiter les mots connus comme « plus forts » ?
Une expérience révélatrice sur la perception sonore
Deux expériences ont été menées pour explorer cette question. La première a impliqué 77 francophones, également anglophones en seconde langue. La seconde a testé 89 anglophones ayant des notions de français. Les participants écoutaient des paires d’extraits audio. Chaque paire comprenait un vrai mot et un mot sans signification. Ces mots sans sens étaient créés en intervertissant des syllabes de vrais mots. Cela permettait de contrôler les caractéristiques acoustiques.
La tâche des participants était simple : désigner quel item semblait le plus fort. Les essais clés portaient sur des paires où les deux éléments étaient joués au volume identique. Le but était de voir si la familiarité lexicale influençait le jugement. Les sons étaient présentés dans la langue maternelle des participants et leur seconde langue. Un processus de calibration garantissait des conditions d’écoute uniformes.
Des résultats nuancés selon la langue
L’expérience 1 a montré un schéma clair chez les francophones. Ils jugeaient les mots réels plus forts que les mots inventés à volume égal. Cet effet était présent en français (langue maternelle) et en anglais (seconde langue). Toutefois, l’effet était plus marqué en français. Quand des erreurs étaient commises, plus de 70 % favorisaient le vrai mot en français, contre environ 59 % en anglais.
L’expérience 2, avec des anglophones, a répliqué le constat général. Ces participants ont aussi montré un biais. Ils percevaient les mots réels comme plus forts. Fait intéressant, l’intensité de l’effet était similaire en anglais (langue maternelle) et en français (seconde langue). Cette observation a surpris les chercheurs. Ils s’attendaient à un effet plus prononcé dans la langue maternelle pour les deux groupes. Boris New suggère que la construction des stimuli (syllabes concaténées) pourrait avoir perturbé les schémas de stress naturels, essentiels en anglais mais moins en français. Cela aurait pu atténuer l’avantage de la langue maternelle pour les auditeurs anglophones.
L’impact de la familiarité linguistique
Ces découvertes soulignent l’influence directe de la connaissance linguistique sur la perception. Les mots familiers sont plus susceptibles d’être perçus comme plus intenses. Cela se produit même sans différence physique de volume. Ce constat appuie les théories selon lesquelles les processus « top-down » façonnent notre perception. Nos connaissances et attentes agissent sur le traitement sensoriel précoce.
Boris New l’explique ainsi : « Nos cerveaux n’enregistrent pas les sons passivement. Ce que nous connaissons et reconnaissons façonne ce que nous entendons ». Il ajoute que cette familiarité modifie la perception de l’intensité sonore. L’effet est subtil mais révèle un principe fondamental : nos attentes et notre savoir linguistique orientent notre perception.
Des limites et des pistes pour l’avenir
Comme toute recherche, cette étude présente des limites. Les stimuli étaient synthétiques, fabriqués à partir de syllabes individuelles. Ceci a pu altérer le rythme naturel de la parole, surtout en anglais. Les futures recherches pourraient utiliser des mots prononcés naturellement. Elles pourraient aussi explorer un éventail plus large de langues. L’expérience a été conçue pour être courte, limitant le nombre de mots testés.
Des différences individuelles en sensibilité auditive n’ont pas été mesurées directement. Bien que les participants aient ajusté leur volume, cela repose sur l’auto-évaluation. Des tests auditifs plus précis pourraient être inclus à l’avenir. Explorer cette illusion dans d’autres langues à syllabes rythmiques, comme l’italien, serait également pertinent. Cela pourrait révéler comment le rythme de la parole et la familiarité lexicale interagissent. Boris New espère répliquer ces travaux pour approfondir la compréhension de pourquoi les gens augmentent le volume lorsqu’ils écoutent des langues étrangères. C’est plus qu’un simple effort : c’est notre cerveau qui modifie la perception.
